L’affaire du hameau de Gibraltar

Le vendredi 8 décembre 1893, l’affaire du hameau de Gibraltar

Cet article a été publié dans la revue « Nord France » dans la série « CES AFFAIRES BOULEVERSÈRENT LA RÉGION », présentation des affaires célèbres qui ont bouleversé la région et dont beaucoup de lecteurs se sont souvenus avec effroi.

Source : La revue « Nord France » texte de Tréboret dessins de Mich

En 1893, au hameau de Gibraltar à Leers, vivait un couple heureux et uni Charles—Louis Vancoppenolle et sa femme, née Blondine Phalempin, ils avaient trois enfants : une fille mariée à Félix Tanghe et deux autres filles : Marie et Céleste, âgées respectivement de 19 et 17 ans.

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Les Vancoppenolle et les Tanghe habitaient deux maisons contiguës situées à 200 mètres de la route de Leers, en plein champ, et à proximité de la frontière belge, où s’étend le hameau de Gibraltar. Les époux Tanghe avaient deux enfants en bas âge; Edmond et Marie-Palmyre. Comme ceux-ci, de 8 et 5 ans, ne pouvaient être laissés seuls tandis que leurs parents travaillaient, ils étaient mis chez leurs grands-parents du lundi au samedi. M. Vancoppenolle et ses deux autres filles qui travaillaient en filature à Lannoy partaient eux aussi de grand matin pour ne revenir que le soir. De sorte que sa femme restait seule avec ses deux petits-enfants la plus grande partie de la journée.

Le vendredi 8 décembre 1893, à 8 h 30 du matin, une habitante du hameau alla chercher de l’eau au puits proche des deux maisons. Elle remarqua que les volets étaient fermés chez les Vancoppenolle et qu’un carreau était brisé chez les Tanghe. Elle courut avertir les voisins. Dans la cuisine, on trouva les cadavres de Blondine Vancoppenolle et du petit Edmond. Quant à Marie-Palmyre, elle était agonisante et mourut le même jour vers midi.

Le lendemain sur la dénonciation de son amie, on arrêtait un tueur aux Abattoirs de Lille, le sieur Vanleuwenhove, assassin présumé de la pauvre vieille et des deux enfants.

C’était un Belge s’exprimant difficilement en français ; il était de petite taille, mais d’assez forte constitution, les cheveux châtains abondants ramenés sur le front. Très calme et très maître de lui, il nia toute participation au crime odieux qui révoltait l’opinion publique.

Amené à la Faculté de médecine de Lille devant les corps des trois victimes, il maintint ses dénégations en face de M. Deialé, Juge d’instruction. Mais le lundi suivant, sur les lieux du crime, après avoir accusé du forfait un brave homme, père de sept enfants, il fit des aveux complets. Il avait tué pour voler. On avait d’ailleurs retrouvé sur lui le porte-monnaie de Mme Vancoppenolle et dans son logement, rue de Fleurus à Lille, un pantalon taché de sang appartenant à M. Tanghe.

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Traduit devant la Cour d’Assises du Nord, présidée par M. Vibert, Vanieuwenhove donna l’impression d’une brute redoutable. Il avait d’ailleurs été condamné 13 fois en Belgique, une fois en France et expulsé. Des témoins vinrent dire qu’après avoir commis son crime, on l’avait vu à Roubaix et à Lille mener joyeuse vie.

Le procureur général Chenest requit évidemment la peine de mort. Me Raoul Joubert, avocat de l’accusé plaida le dérangement mental. Mais les jurés furent impitoyables et prononcèrent un verdict de mort.

Pendant qu’ils délibéraient, on vendait sous les fenêtres du Palais de Justice, une complainte consacrée aux tristes événements qui avaient conquis Vanieuwenhove devant les juges :

La grand’mère, la tête fracassée
Était méconnaissable
Edmond. le crane enfoncé
était défigurable;
La petite Palmyre portait
Trois blessures mortelles
Mais que ces morts soient vengés
De ces douleurs cruelles

Ramené dans sa cellule à la prison de Lille, Vanieuwenhove ne désespérait cependant pas d’obtenir sa grâce. II avait néanmoins réclamé l’assistance de l’aumônier de la prison de Douai, qui parlait sa langue natale, le flamand.

« A l’aumônier, il écrivait : j’ai reçu une lettre de M. l’avocat, qu’il espérait obtenir ma grâce quant à moi, je sais à peu près que ma peine a été commuée, j’espère, à vingt ans. Enfin l’essentiel (sic) c’est que ma tête soit sauvée »

Quand il ne jouait pas aux cartes avec ses gardiens, il chantait une chanson en vogue à l’époque où l’on récriminait contre les moyens de transport :

Voilà le tram qui passe
Tout le long du Boulevard;
Il n’y a jamais de place
Et l’on se trouve en retard

Il avait même imaginé, sur cet air, une variante qu’il fredonnait plein d’espoir :

Voilà le bourreau qui passe
Avec son couteau
j’y ferai la crasse
De rater l’échafaud

Mais son pourvoi fut rejeté. Comme il n’y avait pas eu depuis longtemps d’exécution capitale à Lil1e, la population était surexcitée à l’idée de la venue de Deibler.

Sur les quais de la gare, à l’arrivée des trains de Paris, les badauds attendaient le bourreau. Un jour, le préfet du Nord, M. Vel-Durand, en habit et cravate blanche, se rendait à Tourcoing pour y présider un conseil de révision « il attend Delbler » estima un curieux. La nouvelle se propagea et un service d’ordre dût disperser la foule qui s’assemblait.

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C’est finalement le samedi 21 avril 1894 que Venieuwenhove fut exécuté, après avoir déclaré « Je demande pardon à Dieu et aux hommes de mon crime »

Il avait fallu un bataillon de chasseurs à pied, un escadron du 19e chasseurs, cent agents de police et cinq brigades de gendarmerie pour contenir la foule qui cria « Bravo » lorsque le couperet tomba.

Et tandis qu’on emmenait le corps du condamné, cette même foule chantait la fin de la complainte :

Que l’assassin sur l’échafaud
De sa tête expie
Son triple crime, car il nous faut
(Sang pour sang) toute sa vie.